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Les sens dessus dessous de l’affaire Benalla (1/2)

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Feuilleton de l’été, l’affaire Benalla est révélatrice du côté obscur de la présidence de Macron et de sa faillite dans la gestion de la crise qu’elle a provoquée. Alors que l’affaire rebondit, dans la presse et au Sénat, Adoxa vous en livre tous les tenants et aboutissants en deux épisodes. Aujourd’hui, des origines à l’implication d’Emmanuel Macron.

Si le scandale Benalla n’est pas une affaire d’État, comme le serinent l’Élysée et les proches du Président, il a en tout cas profondément altéré l’idée de « présidence exemplaire », telle que la prônait Emmanuel Macron jusqu’alors. Entre barbouzeries, règlements de comptes entre services, mensonges et autres reniements, cette affaire aura marqué au fer rouge la présidence française. Le grand perdant reste le Président et son « cabinet noir » élyséen, tandis que le Sénat se révèle le garant de la probité et de l’impartialité de nos institutions. 
aDOXA revient pour vous sur la saga de l’été qu’a constituée l’affaire Benalla, une intrigue qui a fait couler beaucoup d’encre et qui a semé le doute autant sur l’intégrité des médias que sur l’État profond français, un pouvoir qui ne provient pas de la Constitution, une sorte de pouvoir parallèle, très puissant.

L’origine de l’affaire

Il est intéressant de se pencher sur la provenance de l’étincelle qui a mis le feu aux poudres et lancé le rouleau compresseur médiatique sur cet inconnu, sorti de nulle part, qu’est Alexandre Benalla. Un nom qui restera associé à la présidence « macronienne » en raison des failles monumentales apparues dans la communication élyséenne au sujet de cette affaire, tout comme ses tentatives désespérées de l’étouffer. Tout est parti de la diffusion d’une vidéo filmée par Taha Bouhafs, un militant présent lors des manifestations du 1er Mai, à Paris.
🔴🔴🔴🔴 ALERTA VIOLENCES POLICIÈRES

DES POLICIERS TABASSENT ET GAZENT TOUT LE MONDE PLACE CONTREESCARPE !!
FAITES TOURNER IL FAUT QUE TOUT LE MONDE VOIT !!#ViolencesPolicieres #1erMai pic.twitter.com/Dabr6HHwyJ

— Taha Bouhafs (@T_Bouhafs) 1 mai 2018

La séquence montre des CRS, accompagnés de deux hommes, l’un habillé en civil, l’autre portant un casque de policier. L’on y voit ces hommes procéder à l’arrestation, musclée, d’un manifestant.
En dépit des signalements répétés de la part de l’auteur de la vidéo à l’adresse des médias, et même si le film circulait sur les réseaux sociaux, la mayonnaise ne prenait pas. Ce n’est que le 18 juillet 2018, que Le Monde, ayant visionné le film, identifie l’un des protagonistes dont on sait aujourd’hui qu’il était un proche collaborateur du Président de la République. C’est ainsi que le nom d’Alexandre Benalla s’étale désormais dans tous les journaux et que la machine s’emballe.
Les révélations ne vont pas tarder à pleuvoir. Les médias tentent d’interroger Macron au cours d’un déplacement à Périgueux, mais le Président refuse catégoriquement de s’exprimer, arguant que « la République est inaltérable », esquivant ainsi les questions insistantes des journalistes.
VIDÉO – Après son dîner à Périgueux, @EmmanuelMacron interrompt son convoi pour aller saluer la grosse cinquantaine de personnes qui l’attendaient (et s’offrir un bain de foule) pic.twitter.com/xXWyW5PlU7

— Arthur Berdah (@arthurberdah) 18 juillet 2018

La sanction

Alexandre Benalla, ne serait qu’un simple garde du corps. On apprend qu’il a été celui de Martine Aubry, puis qu’il a endossé le costume de chauffeur d’Arnaud Montebourg, avant d’être remercié par ce dernier après un accident suivi d’une tentative de délit de fuite. Plus tard, il devient le responsable de la sécurité du mouvement En Marche et assure la sécurité du candidat Macron à la présidentielle de 2017. Après l’élection, ses prérogatives deviennent floues. L’on sait qu’Alexandre Benalla participera, en tant qu’observateur, au maintien de l’ordre de la manifestation du 1er Mai. L’on sait surtout qu’il ne s’est pas cantonné à ce simple rôle.
Le 2 mai, le directeur de cabinet du Président, Patrick Strzoda, est informé de l’existence des vidéos circulant sur Internet, et il convoque Benalla, qui lui confirme être l’un des protagonistes de la séquence filmée. Le directeur de cabinet de l’Élysée informe à son tour le chef de l’État, lequel demande des sanctions. Alexandre Benalla écope alors d’une mise à pied, du 4 au 19 mai.

La Polémique

Mais la polémique enfle et les questions de la presse, autant que celles des policiers syndiqués, fusent. Comment un simple observateur peut-il être équipé d’une radio portative, en principe dévolue aux forces de l’ordre ? Pourquoi porte-t-il un brassard de police ? Dans quelles circonstances ce garde du corps a-t-il pu obtenir de tels attributs ? Un responsable des CRS déclare : « En vingt-cinq ans de service, je n’ai jamais vu un agent de l’Élysée de ce niveau-là se déplacer sur un dispositif de maintien de l’ordre ».
Entre temps, d’autres vidéos fuitent sur Internet, montrant la scène sous des angles différents, et l’on peut voir une femme se faire molester par le « faux policier ». Benalla donne des ordres directs aux fonctionnaires de police présents sur les lieux ainsi qu’à un commissaire en charge de la sécurité.
Dans une autre séquence filmée, Alexandre Benalla et son collaborateur, Vincent Crasse, se trouvent au Jardin des Plantes, avec une compagnie de CRS, et procèdent à des contrôles d’identité sur des manifestants.

Une cascade de révélations et de privilèges

On découvre également les propos tenus au sommet de l’État, à savoir que si l’affaire ne sortait pas dans les quinze jours, elle ne sortirait probablement jamais. C’était sans compter l’acharnement de quelques-uns, qui veulent la tête d’Alexandre Benalla ou celle du Président. À partir de ce moment-là, les révélations se succèdent à un rythme soutenu.
Les fréquentations du garde du corps sont passées au crible. On apprend que Karim Achoui, avocat sulfureux, radié du barreau de Paris, le côtoyait. L’avocat dit de lui qu’il était très sensible à la cause musulmane et à la Ligue de défense judiciaire, mais affirme ne jamais avoir eu recours aux services de protection d’Alexandre Benalla.
D’autres révélations suivent : les images de vidéosurveillance de la place de la Contrescarpe, du 1 e Mai, sont directement transmises à Benalla, et ce de façon totalement illégale, par de hauts fonctionnaires de police, dont deux commissaires. Ceux-ci ont été suspendus à titre conservatoire et une enquête pour usurpation de fonctions a été ouverte.
Parmi les nombreux avantages dont bénéficiait A. Benalla, les Français ont eu la surprise de découvrir que l’homme était détenteur d’un badge H, donnant accès à l’hémicycle de l’Assemblée nationale.
#AffaireBenalla / Capture d’écran de la fiche d’accès de #AlexandreBenalla à l’assemblée nationale. Le député @marclefur a révélé en séance que le collaborateur de Macron possédait depuis juillet 2017 un badge de niveau H, le plus élevé pic.twitter.com/ZP0g43hQeY

— Ismaël Halissat (@ismaelhat) 21 juillet 2018

Il faut savoir que l’accès à l’enceinte de l’Assemblée est normalement scrupuleusement contrôlé, du fait de la nature délicate des personnes y travaillant et des propos qui s’y tiennent. Le Président de la République n’est pas autorisé à y pénétrer, raison pour laquelle il est difficilement concevable que son garde du corps et proche collaborateur ait pu prétendre à l’obtention d’un badge d’accès.
#AlexandreBenalla avait accès à l’hémicycle de l’Assemblée nationale selon les députés LR.
« Quel rapport entre la sécurité du président de la République et être ici dans l’hémicycle ? », demande Christian Jacob (LR).#DirectAN #PJLConstit #AlexandreBenalla pic.twitter.com/c7XBQfTEZT

— LCP (@LCP) 21 juillet 2018

L’estafier jouissait d’un véhicule de fonction équipé de nombreux accessoires de police. C’est ce que révèle une photo de BFMTV où l’on peut voir, à l’avant de la voiture, des signalétiques logiquement réservées aux plus hauts fonctionnaires de police, comme le suggère Dominique Rizet, journaliste de la chaîne d’informations en continu : « C’est le genre de voitures conduites par la haute hiérarchie de la police », confit-il sur le plateau de BFMTV.
La liste des privilèges accordés à Alexandre Benalla pic.twitter.com/UmIfq3xJ2o

— BFMTV (@BFMTV) 20 juillet 2018

Dans l’inventaire des privilèges accordés à monsieur Benalla, figure l’autorisation de port d’arme, délivrée dans des conditions troubles. Point de discorde entre le préfet de police et le ministre de l’Intérieur, les deux hommes se sont mutuellement désignés comme responsables de la délivrance de cette autorisation. Au cours des auditions de la commission d’enquête, le cabinet du ministre a indiqué que la demande de port d’arme de Benalla avait été refusée, car il ne remplissait pas les conditions requises. C’est alors que le jeune homme s’est tourné vers la préfecture de police qui la lui aurait accordée, en sa qualité de coordinateur du projet de réforme du groupe de sécurité du président de la République. Le ministre de l’Intérieur précisera qu’il n’était pas informé de cet élément.
Le document stipule qu’Alexandre Benalla aurait suivi une formation continue, délivrée par « le major de police en charge de la cellule formation du GSPR », en raison de son statut de réserviste de la gendarmerie nationale et d’agent de sécurité privé. Au vu de la menace terroriste, le document indique que le garde du corps du Président, par la qualité de son travail et de sa sensibilité, pouvait donc prétendre à la détention d’une arme de catégorie B type Glock, avec 2000 cartouches par an, pour la durée du quinquennat d’Emmanuel Macron.
Mais lors de son audition, le préfet de police, Michel Delpuech, a reconnu que cette demande ne reposait sur aucune base légale et qu’il assumait l’entière responsabilité de ce choix, car l’ordre venait de l’Élysée.
Par ailleurs, l’attribution d’un appartement de fonction, quai Branly, le 9 mai, donc après sa sanction pour la manifestation du 1er Mai, a particulièrement étonné les Français. Que pouvait justifier ce énième traitement de faveur ? L’appartement mesurait 84 m2 et, selon l’Express,un budget de 180.000 euros avait été alloué pour fusionner deux appartements afin d’obtenir une surface habitable de 200 m2.
Selon une information du Point, après une enquête menée par la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI), à la demande de la hiérarchie du chargé de mission, Alexandre Benalla était habilité « secret-défense », pour cinq ans, depuis le mois de juin 2017.
« Alexandre Benalla était effectivement habilité “secret-défense”. Mais cela n’a rien d’exceptionnel : c’est le cas de tous les collaborateurs de l’Élysée qui ont accès à l’agenda du Président », a assuré l’Élysée. En France, 400.000 personnes sont habilitées « secret-défense », selon un rapport du secrétaire général de la Défense et de la Sécurité nationale
D’après Le Monde, Alexandre Benalla disposait aussi d’un passeport diplomatique, d’ordinaire délivré aux diplomates français par le ministère français des Affaires étrangères. Il s’accompagne de l’immunité diplomatique.
Par ailleurs, selon l’Opinion, Emmanuel Macron avait confié à Alexandre Benalla les clés de la villa du Touquet, la résidence secondaire du couple. 
« Ses compétences ne sont sans doute pas la bonne explication : Benalla avait des fonctions subalternes, mais il vivait dans l’intimité du couple présidentiel. Il a donc eu à connaître des choses qui font qu’il avait un statut réel auprès du Président, bien supérieur à son statut sur le papier », avançait un proche d’Emmanuel Macron.
Le Parisien affirmait que le salaire mensuel d’Alexandre Benalla avoisinait les 10.000 euros par mois. Contrairement aux « conseillers », il échappait, en tant que « chargé de mission », aux contrôles de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), nous explique Mediapart. Son salaire n’est donc pas public. Mais selon le porte-parole de l’Élysée, « le salaire d’Alexandre Benalla avoisinait les 6.000 euros nets par mois, et non pas 10.000 euros ». À ce stade, nous sommes obligés de nous contenter de cette affirmation, puisque l’Élysée a refusé de communiquer les émoluments de Benalla à des députés qui en avaient fait la demande.
Réserviste depuis 2009, Alexandre Benalla est entré dans la réserve opérationnelle, au grade de lieutenant-colonel, en 2017. Une promotion que la gendarmerie a du mal à accepter, car il n’avait aucune référence militaire et aucun cursus universitaire reconnu pour avoir accès à ce grade.
Dire qu’il m’a fallu 22 ans de service, passer par 5 écoles militaires dont l’Ecole de guerre, passer un doctorat, servir dans 4 régiments, me taper 6 opex et deux ans de vie en brousse, pour être lieutenant-colonel…alors qu’il me suffisait d’être une petite frappe. Quel con !

— Michel Goya (@Michel_Goya) 21 juillet 2018

L’Express poursuit ses révélations en mentionnant l’appartenance d’Alexandre Benalla à la Franc-maçonnerie. Il a été initié au sein de la loge « Les Chevaliers de l’Espérance » de la Grande loge nationale française (GLNF). Ce franc-maçon porte le matricule 106161 de cette obédience, depuis 13 février 2017. Son parrain est un notaire trentenaire, de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), membre de la même loge. Il est toujours apprenti et n’aurait bien sûr pas été très assidu aux réunions rituelles de sa loge depuis l’élection d’Emmanuel Macron.
Dans son atelier des « Chevaliers de l’Espérance », il n’y a pas d’autre frère exerçant un métier dans le domaine de la sécurité, de la police ou de la gendarmerie On y trouve plutôt des cadres supérieurs et des professions libérales du droit. Le Grand Maître de la GLNF, Jean-Pierre Servel, dit naturellement regretter que l’on ait communiqué des informations sur l’un de ses frères : « Conformément à notre jurisprudence constante, dès qu’un frère est mis en examen, nous respectons sa présomption d’innocence, nous ne prenons donc aucune sanction, mais nous le suspendons à titre conservatoire jusqu’à l’issue de la procédure judiciaire. La suspension d’Alexandre Benalla a été prononcée par ordonnance de son Grand Maître Provincial (Île-de-France) au début de cette semaine, le 23 ou le 24 juillet. »

Affaire Benalla ou affaire Macron ?

L’Élysée a cherché à minimiser les répercussions de l’affaire, en accusant la presse de ne pas faire son travail, mais surtout en dénonçant, de la part de l’opposition, une volonté de sabotage de la réforme constitutionnelle. Ce qui est à retenir de cette séquence désastreuse pour le chef de l’État, c’est l’attitude même de celui-ci. Il a eu beau jeu de se déclarer au-dessus de la mêlée, de parler de tempête dans un verre d’eau, il n’était tout simplement pas crédible. Ses gesticulations maladroites, tant par son silence dans un premier temps face à l’ampleur de l’affaire, que par ses déclarations à l’emporte-pièce, signe d’un amateurisme auquel il n’a pas habitué les Français, constituent autant de preuves de son embarras. Faut-il incriminer Emmanuel Macron lui-même ou son équipe de communication, totalement prise au dépourvu ?
Toujours est-il que deux motions de censure ont été déposées par l’opposition, geste plus symbolique qu’autre chose, dans la mesure où elles n’avaient aucune chance d’aboutir.
Une commission d’enquête parlementaire ainsi qu’une commission du Sénat ont été ordonnées, afin de tenter de faire la lumière sur cette affaire, et déceler les responsabilités des uns et des autres. Nous ne reviendrons pas sur ces deux enquêtes, ce qui nécessiterait plusieurs articles, mais l’essentiel est de noter que la commission parlementaire, représentée majoritairement par LREM, s’est montrée réservée, voire hostile, parfois, à l’audition de certains protagonistes. Nombre de membres de l’opposition se sont vus entravés dans les questionnements qu’ils souhaitaient mener. C’est le cas de Marine Le Pen, de Nicolas Dupont-Aignan, mais aussi de certaines figures des Républicains. Finalement, cette commission d’enquête tournera à la farce en décidant de ne pas rendre de rapport. Celle du Sénat a en revanche fait preuve de plus de pugnacité, au point de relancer ses travaux à la rentrée et de convoquer pour audition le chef de cabinet d’Emmanuel Macron, François-Xavier Lauch le12 septembre.
Le 24 juillet 2018, une semaine après le début de l’affaire, Emmanuel Macron décide de sortir de son silence. À la Maison de l’Amérique latine, il s’adresse uniquement à la famille LREM, ce qui est politiquement très contestable et dénote un réel manque de courage. C’est à cette occasion qu’il a prononcé sa fameuse tirade : « S’ils cherchent un responsable, il est devant vous. Le seul responsable, c’est moi et moi seul. Qu’ils viennent le chercher. Je réponds au peuple français. » Formule plutôt ridicule et pleutre, dans la mesure où le Président de la République est protégé par la Constitution.
Affaire Benalla ou affaire Macron ? Le véritable responsable semble bien être le Président. Sans passe-droits, accordés par le chef de l’État, Alexandre Benalla n’aurait jamais pu bénéficier d’une telle impunité. Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas sûrs de pouvoir faire toute la lumière sur cette affaire. Nous tenterons néanmoins d’éclairer certaines zones d’ombre lors du prochain volet de cette enquête.
La suite de cet article sera publiée mardi prochain à 8h00 sur www.adoxa.info !
Eldo Rhaan

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aurora.info

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